Note de l’auteur : J’aurais pu également intituler cet article : « Quand un livre me bouleverse profondément… » Je précise aussi que ce qui va suivre est un ressenti purement personnel, où j’ai laissé libre cours à mes sentiments les plus « refoulés ».
Un jour, à la fin du repas de midi, ma mère m’annonce au détour d’une conversation : « Au fait, je t’ai commandé un livre ! » Moi, tout étonné, je lui demande quel est le livre en question. « Tu verras bien, c’est une surprise ! En principe, il devrait te plaire ! » Je me contente alors d’attendre. Vu qu’elle me connaît, je devrais beaucoup aimer sa surprise.
Quelques jours plus tard, elle m’offre le fameux « graal » : Lettre à Hervé d’Éric Sagan. Je regarde la couverture, intrigué, puis quelque chose de familier me trouble : il me semble avoir déjà vu ce jeune homme aux yeux bleus innocents en photo sur la couverture en question. Comme si je l’avais déjà vu en reflet dans un miroir. Puis, je lis le résumé et comprends immédiatement : Éric, Hervé, lettre, homosexualité… Et si quelqu’un d’autre que moi avait les mêmes peurs que moi, celles qu’il tentait de cacher désespérément derrière un masque, qu’il porterait habilement (ou maladroitement dans mon cas) pour cacher ce qu’il est vraiment. Quelqu’un qui est forcé de « rentrer dans le moule », alors qu’il ne le veut pas.
Pourtant, quand j’ai lu les cent pages de Lettre à Hervé, j’ai eu l’impression d’être largué par rapport à l’auteur qui les avait écrites. J’ai eu ce sentiment désagréable ressurgir en moi, celui de ne jamais avoir été à la hauteur des attentes de chacun. Alors qu’Éric, lui, a su y faire. Il a fait croire à tout le monde qu’il était parfait, alors qu’il savait au fond de lui-même que ce n’était pas vrai. Ainsi, tandis que ses mots pénétraient dans mes pupilles avides, j’ai admiré secrètement cet homme pour avoir su être masculin, tout en laissant paraître ouvertement son côté féminin à travers son écriture si sensible et délicate. C’est là que je me suis véritablement reconnu en lui, que j’ai compris que nous étions à la fois pareils et différents, lui et moi.
Nous sommes pareils, car nous sommes vulnérables quand nous devons faire face à nos sentiments. Nous sommes vulnérables dans l’idée d’aimer une personne du même sexe. Nous sommes prêts à tout, lorsque nous tombons éperdument amoureux d’un autre homme (à sauter d’une falaise s’il nous le demandait, par exemple). Mon cœur a d’ailleurs fait un bond en découvrant le passage suivant :
« Et puis, il y a eu ce jour que je n’oublierai jamais… ce jour d’automne, dans une forêt du Vercors, où surpris par un orage, dans une tente montée à l’improviste, trempés, nos vêtements collés à la peau, Michel, sans prévenir, me prit dans ses bras, me serra contre lui, et m’embrassa. Et plus encore. Ce que je ressentis alors dans cet espace hors du temps, je ne l’ai jamais retrouvé. Cela demeurera la première, la dernière, et l’unique fois où nos corps se sont vraiment rejoints. »
Combien de fois ai-je rêvé de ça, même en vrai ? Et surtout, combien de fois ai-je reculé devant la possibilité d’aimer et d’être aimé en retour ? Je ne les compte plus. Je sais juste que, plus Éric parlait de Michel (celui à qui il a été instantanément « connecté »), plus je me revoyais moi à l’école primaire, moi au lycée, puis moi à l’université et moi encore maintenant, aimant en secret mais voyant ça comme une souffrance maléfique qui me perce la poitrine sans cesse. Des coups de foudre déguisés en flèches m’atteignant en plein cœur, me faisant mal, tout en me rendant euphorique à la fois. J’ai ressenti ça durant ce passage précis, et tout au long de ces cent pages.
J’ai ressenti ce dilemme intérieur, qui m’a sans cesse obligé à choisir entre : qui je devrais être et qui je suis vraiment. J’ai été comme Hervé et, par ailleurs, 24 ans fut aussi pour moi le véritable début de ma vie d’adulte. Ce fut l’âge où j’ai commencé à m’accepter, à faire mes propres choix (même s’il me faudra encore des années pour les vivre pleinement et les assumer). Ce fut aussi l’âge des déceptions, celui où j’ai compris que la vie ne se plierait pas toujours à mes caprices. Et lire des plumes aussi sincères que celle d’Éric, ça fait un bien fou, croyez-moi !
Lire un livre de cent pages à peine, ce n’est pas bien long et compliqué. Avoir l’auteur sous la peau dès les premières lignes, c’est un peu plus fastidieux, je vous l’accorde. Éric, je l’ai eu de suite « en moi », même si nous avons eu des manières différentes de gérer cette « tare » qu’est l’homosexualité. Or, nous nous sommes tous deux sentis coupables lors de nos premiers émois « en public » (là où nos rêves nous permettaient d’assouvir nos fantasmes les plus secrets). Il est vrai que moi aussi, j’ai rêvé de m’assouvir face à un autre homme, d’être son esclave. En échange, j’ai rêvé que ce même homme me protège du (cruel) monde extérieur et soit affectueux comme un père le serait. J’y crois encore à ce fantasme de soumission affective, même si je rêve du contraire maintenant. Du moins, je rêve d’être à la fois le protecteur et le protégé de l’Autre.
Éric, il sait également choisir ses mots pour parler simplement de ce qu’il ressent, de ce qu’il éprouve. Il sait expliquer simplement le coup de foudre « instantanée » qu’il a eu pour Michel, ses tentatives pour être à ses côtés dès qu’il le pouvait, cette fameuse fois où il a pu l’étreindre. Il sait aussi parler ce qui l’a construit, de ce qui l’a « détruit » (car il s’est toujours relevé). Il sait décrire ce dilemme intérieur qui l’a obligé à se chercher pendant des années, jusqu’à ce qu’il le laisse s’échapper pour vivre librement sa vie. Il sait tout simplement parler de l’Amour, le vrai, celui qu’on ressent une ou quelques rares fois durant son existence.
Alors, Éric, j’aimerais vous dire une seule chose : merci ! Merci d’avoir réchauffé mon cœur au rythme de vos écrits. Grâce à vous, j’ai finalement trouvé mon livre de chevet, celui qui risque d’être encore tout en haut de la pile pour les futures nombreuses années à venir. J’avais ce doux pressentiment que ça allait me plaire. Rien qu’en lisant votre quatrième de couverture, je savais que votre œuvre me parlerait, qu’elle ferait écho à ma propre existence. Certes, même si nous sommes différents sur certains points, nous nous ressemblons sur d’autres. Enfin, vous m’avez appris que la normalité n’excluait pas la différence mais que, au contraire, la différence faisait écho à la normalité.
Et – je conclue sur ces mots-là –, même si les deux dernières lignes qui concluent si bellement votre récit m’ont déchiré le cœur (tout en me redonnant en espoir en l’Amour), je remercie ma mère pour ce cadeau touchant et inattendu. Il signifie qu’elle a enfin accepté le garçon que j’ai toujours été et l’homme que je suis à présent.
Merci, donc, Maman. <3